Le Point.fr - Publié le 22/03/2012 à 18:10 - Modifié le 22/03/2012 à 20:13
Selon Claude Guéant, Mohamed Merah était proche du salafisme. Qu'est-ce que cette mouvance ? Comment vivent ses adeptes ? Sont-ils dangereux ? Interview.
Le nombre de musulmans appartenant à la mouvance salafiste est estimé entre 12 000 et 15 000 croyants. Photo d'illustration © Sebastien Bozon / AFP
Le Point.fr : Qu'est-ce que le salafisme ?
Samir Amghar : C'est un mouvement ultra-orthodoxe de l'islam qui prône un retour à une interprétation à la lettre des prescriptions coraniques et de la tradition prophétique et souhaite vivre à la manière de vivre des "salafs", ces "pieux ancêtres" (les compagnons de Mahomet). Un retour en quelque sorte à l'âge d'or de l'islam. L'idée qu'à un moment de leur histoire, les musulmans étaient dominants du point de vue économique autant que militaire ou politique. Cette période commence avec la révélation du prophète, au VIIe siècle, et dure trois siècles, jusqu'au début du Xe siècle.
Peut-on dresser le profil d'un salafi vivant en France ?
C'est une personne souvent issue de l'immigration maghrébine, d'un âge moyen, entre 20 et 35 ans. C'est plutôt un homme qu'une femme, avec un certain bagage scolaire. Il connaît des situations d'exclusion à la fois économique, sociale et politique. Il y a aussi une part importante de personnes converties à l'islam.
Combien sont-ils ?
Entre 12 000 et 15 000 personnes selon les chiffres du ministère de l'Intérieur datant de 2010. C'est un chiffre proche de la réalité. Ils se situent principalement dans la région parisienne, à Marseille, en banlieue lyonnaise, dans les grands centres urbains et périurbains.
Comment sont-ils considérés par la communauté musulmane ?
Il existe entre eux une relation mêlée d'amour et de haine. Une fascination aussi, la communauté musulmane vivant en France voyant en eux des personnes honnêtes, droites, capables d'assumer leur posture religieuse. En même temps, ils les accusent de sectarisme religieux. Pour les institutions religieuses musulmanes, ils restent un mouvement dangereux.
Portent-ils préjudice à la communauté musulmane ?
Pas à mon sens. Ce sont des individus qui ont des postures certes sectaires, mais qui sont très individualistes. Ils aspirent à vivre leur islam de manière pacifique.
Peut-on considérer cette mouvance comme sectaire ?
D'un point de vue religieux, non. Force est de constater que bien au contraire le salafisme fait partie intégrante de l'orthodoxie musulmane. Sur le plan sociologique, en revanche, il peut dans certaines conditions s'apparenter à une secte dans la mesure où il ne reconnaît pas les valeurs dominantes de la société. Il s'organise en groupe retranché, isolé, fonctionnant en vase clos et instaurant une barrière entre le reste de la société et le groupe auquel l'individu appartient.
Une césure avec les valeurs républicaines...
Une coupure toute symbolique. Car les salafistes sont bien obligés de faire preuve de pragmatisme pour pouvoir vivre dans un univers dont ils ne reconnaissent pas les valeurs. Ce sont des individus qui travaillent, qui inscrivent leurs enfants à l'école, ils sont dans une logique de compromis et s'accommodent de valeurs qu'ils considèrent comme opposées à la pratique de l'islam.
Comment le vivent-ils ?
Ils sont dans une logique de moindre mal. Ils restent en groupe et ne se mêlent pas au reste de la société.
Vous expliquez qu'on ne décide pas soi-même d'appartenir à cette organisation, qu'il s'agit d'un processus de sélection religieuse, qu'en est-il ?
Son affiliation passe par plusieurs étapes. On doit être accepté par ses pairs. Pour cela, il faut donner des gages de sérieux dans sa pratique religieuse. Venir souvent à la mosquée, porter la barbe... Dans le cas des salafistes djihadistes, il est aussi nécessaire de suivre des cours ou d'assister à des exercices militaires.
Le mouvement peut-il se radicaliser ?
Il faut bien avoir à l'esprit que le salafisme est une mouvance complexe et évolutive dont il faut distinguer trois grandes tendances. Celle qui est ultra-majoritaire en France refuse toute utilisation de la violence au nom de l'islam et toute politisation. Une minorité appartient à la tendance politique et pense qu'il est nécessaire de faire entendre la voix des musulmans dans une logique politique, à travers des moyens légalistes. Enfin, une autre frange minoritaire, qui appartient au salafisme révolutionnaire, prône le djihad comme le moyen de se faire entendre. La tendance générale chez les jeunes musulmans qui seraient séduits par le djihadisme décline. Nous n'avons plus à faire à des populations fortement marquées par l'idéal islamiste qui aspirent à la création d'un État islamique en Europe. Nous sommes davantage dans un rapport individualiste à l'islam, assez consumériste, où l'on épouse l'islam non pour ses valeurs politiques mais comme un moyen de s'accomplir.